LOI RELATIVE A L'ELECTION DES SENATEURS
Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 26 juin 2000, par MM. Josselin de Rohan, Nicolas About, Pierre André, Jean Arthuis, Denis Badré, Jean Bernard, Jacques Bimbenet, Jean Bizet, Paul Blanc, Christian Bonnet, James Bordas, Joël Bourdin, Jean Boyer, Louis Boyer, Jean-Guy Branger, Dominique Braye, Mme Paulette Brisepierre, MM. Louis de Broissia, Michel Caldaguès, Robert Calméjane, Auguste Cazalet, Charles Ceccaldi-Raynaud, Gérard César, Jean Chérioux, Marcel-Pierre Cleach, Jean Clouet, Gérard Cornu, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Xavier Darcos, Luc Dejoie, Jean Delaneau, Jean-Paul Delevoye, Robert Del Picchia, Christian Demuynck, Charles Descours, Michel Doublet, Paul Dubrule, Alain Dufaut, Ambroise Dupont, Daniel Eckenspieller, Jean-Paul Emin, Jean-Paul Emorine, Michel Esneu, Hubert Falco, Jean Faure, André Ferrand, Hilaire Flandre, Jean-Pierre Fourcade, Bernard Fournier, Philippe François, Jean François-Poncet, Yves Fréville, René Garrec, Philippe de Gaulle, Patrice Gélard, Alain Gérard, François Gerbaud, Francis Giraud, Daniel Goulet, Alain Gournac, Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Hubert Haenel, Mme Anne Heinis, MM. Pierre Hérisson, Rémi Herment, Daniel Hoeffel, Jean-François Humbert, Claude Huriet, Jean-Jacques Hyest, André Jourdain, Alain Joyandet, Lucien Lanier, Patrick Lassourd, Edmond Lauret, Dominique Leclerc, Roland du Luart, Jacques Machet, Kléber Malécot, Max Marest, Philippe Marini, Paul Masson, Serge Mathieu, Jean-Luc Miraux, Louis Moinard, Bernard Murat, Paul Natali, Philippe Nogrix, Mme Nelly Olin, MM. Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Jean Pépin, Guy Poirieux, André Pourny, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Henri de Raincourt, Charles Revet, Henri Revol, Henri de Richemont, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Michel Rufin, Jean-Pierre Schosteck, Michel Souplet, Louis Souvet, Martial Taugourdeau, Henri Torre, René Trégouët, François Trucy, Maurice Ulrich, Jacques Valade, André Vallet, Alain Vasselle, Xavier de Villepin, Serge Vinçon et Guy Vissac, sénateurs, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi relative à l'élection des sénateurs ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu le code électoral ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 29 juin 2000 ;
Vu les observations en réplique présentées par les auteurs de la saisine, enregistrées le 4 juillet 2000 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
Considérant que les sénateurs auteurs de la saisine défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à l'élection des sénateurs, et mettent en cause la conformité à la Constitution de ses articles 2, 9 et 10 ;
Sur les moyens tirés de l'atteinte à l'article 24 de la Constitution :
Considérant que le 1o de l'article 2 de la loi déférée a pour objet de modifier l'article L. 284 du code électoral en substituant à ses six premiers alinéas les dispositions suivantes :
« Les conseils municipaux désignent un nombre de délégués déterminé en fonction de la population des communes, à raison d'un délégué pour 300 habitants ou une fraction de ce nombre. Le Conseil de Paris élit un nombre de délégués égal à dix fois son effectif.
« Lorsque le nombre de délégués est inférieur ou égal à l'effectif du conseil municipal, les délégués sont élus au sein de ce conseil.
« Lorsque le nombre de délégués est supérieur à l'effectif du conseil municipal, les membres de ce conseil sont délégués de droit, les autres délégués étant élus dans les conditions fixées à l'article L. 289. » ;
Considérant que les requérants soutiennent que cet article serait, à plusieurs titres, contraire à l'article 24 de la Constitution ; qu'ils exposent en premier lieu que la loi n'assurerait plus correctement la représentation des collectivités territoriales de la République ; que « l'abaissement à 300 habitants du seuil pour désigner les délégués des communes bouleverse complètement la représentation des collectivités territoriales : les petites communes sont écrasées tout comme les départements et les régions » ; que le seuil de 300 habitants leur apparaît arbitraire et n'est justifié, à leurs yeux, par aucun autre argument que celui de la démographie ; qu'ils allèguent en deuxième lieu que la loi ne respecterait pas la règle de l'élection des sénateurs au suffrage indirect, car « les élus du suffrage universel deviennent souvent minoritaires au sein du collège des grands électeurs sénatoriaux » ;
Considérant que l'article 3 de la Constitution dispose, dans son premier alinéa, que « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum » ; que le même article dispose, dans son troisième alinéa, que « Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret » ; qu'aux termes du troisième alinéa de l'article 24 de la Constitution : « Le Sénat est élu au suffrage indirect. Il assure la représentation des collectivités territoriales de la République. Les Français établis hors de France sont représentés au Sénat » ;
Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de l'article 24 de la Constitution que le Sénat doit, dans la mesure où il assure la représentation des collectivités territoriales de la République, être élu par un corps électoral qui est lui-même l'émanation de ces collectivités ; que, par suite, ce corps électoral doit être essentiellement composé de membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales ; que toutes les catégories de collectivités territoriales doivent y être représentées ; qu'en outre, la représentation des communes doit refléter leur diversité ; qu'enfin, pour respecter le principe d'égalité devant le suffrage résultant de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et de l'article 3 de la Constitution, la représentation de chaque catégorie de collectivités territoriales et des différents types de communes doit tenir compte de la population qui y réside ;
Considérant, en conséquence, que, si le nombre des délégués d'un conseil municipal doit être fonction de la population de la commune et si, dans les communes les plus peuplées, des délégués supplémentaires, choisis en-dehors du conseil municipal, peuvent être élus par lui pour le représenter, c'est à la condition que la participation de ces derniers au collège sénatorial conserve un caractère de correction démographique ; que l'application des dispositions en vigueur de l'article L. 285 du code électoral ne remet pas en cause les principes sus-énoncés ;
Considérant, en revanche, qu'en application des dispositions du 1o de l'article 2 de la loi déférée, des délégués, choisis nécessairement en-dehors du conseil municipal, seront désignés, à raison d'un délégué supplémentaire pour 300 habitants ou fraction de ce nombre, lorsque le nombre de délégués sera supérieur à l'effectif du conseil municipal ; que, dès lors, ces délégués supplémentaires constitueront une part substantielle, voire, dans certains départements, majoritaire du collège des électeurs sénatoriaux ; que leur participation à l'élection des sénateurs sera d'autant plus déterminante que l'article 10 de la loi examinée étend à de nombreux départements l'élection des sénateurs au scrutin proportionnel ;
Considérant que l'importance ainsi donnée par la loi déférée aux délégués supplémentaires des conseils municipaux au sein des collèges électoraux irait au-delà de la simple correction démographique ; que seraient ainsi méconnus les principes sus-énoncés ;
Considérant qu'il y a lieu en conséquence de déclarer contraires à la Constitution les dispositions des deuxième, troisième, quatrième et cinquième alinéas de l'article 2, et, par voie de conséquence, celles du I de l'article 23 ;
Sur les moyens tirés du défaut de prise en compte des évolutions démographiques :
Considérant que, selon les auteurs de la saisine, la loi déférée ne pouvait modifier le mode de scrutin pour l'élection des sénateurs sans révision préalable de la répartition des sièges par département, afin de tenir compte des évolutions démographiques intervenues depuis les trois derniers recensements ; qu'à défaut, la modification du mode de scrutin prévue par les articles 9 et 10 serait « entachée d'arbitraire » ;
Considérant que les dispositions combinées de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et des articles 3 et 24 de la Constitution imposent au législateur de modifier la répartition par département des sièges de sénateurs pour tenir compte des évolutions de la population des collectivités territoriales dont le Sénat assure la représentation ; que ces dispositions n'exigeaient pas pour autant que cette prise en compte intervienne avant l'entrée en vigueur de la loi déférée ;
Considérant qu'il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel d'examiner d'office aucune question de conformité à la Constitution,
Décide :
Art. 1er. - Sont déclarées contraires à la Constitution les dispositions des deuxième, troisième, quatrième et cinquième alinéas de l'article 2 et celles du I de l'article 23 de la loi relative à l'élection des sénateurs.
Art. 2. - La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 juillet 2000, où siégeaient : MM. Yves Guéna, président, Georges Abadie, Michel Ameller, Jean-Claude Colliard, Alain Lancelot, Mme Noëlle Lenoir, M. Pierre Mazeaud et Mmes Monique Pelletier et Simone Veil.